CHAPITRE II
Leia Organa Solo se pencha vers l’amiral Ackbar. L’aile B que pilotait le Calamarien fonçait dans l’hyperespace.
Le poste de ministre d’Etat maintenait Leia sur la brèche ; la jeune femme passait sans transition des réceptions diplomatiques aux urgences politiques. Elle sautait d’un bout à l’autre de la galaxie, d’une crise à l’autre, aidant Mon Mothma à remplir le vide administratif créé par la chute de l’Empire.
Bien qu’elle eût déjà étudié les holos de la planète Vortex une douzaine de fois, elle ne parvenait pas à se concentrer sur le prochain Concert des Vents. Les tâches diplomatiques lui prenaient trop de temps – dès qu’elle avait un moment de calme, ses pensées revenaient à Yan et à ses aînés, Jacen et Jaina. Elle n’avait pas embrassé son petit dernier, Anakin, depuis une éternité… L’enfant demeurait isolé, bien protégé, sur la planète secrète Anoth.
Aussitôt que Leia tentait de passer une semaine, une journée, voire une heure avec sa famille, quelque chose survenait pour l’en empêcher. Dès son adolescence, la jeune femme avait voué sa vie à l’Alliance. Princesse d’Alderaan, elle avait travaillé pour les Rebelles ; elle s’était battue contre Dark Vador et l’Empereur et, plus récemment, contre le Grand Amiral Thrawn. A présent, elle se sentait déchirée entre ses fonctions de ministre d’Etat et sa vie privée d’épouse et mère de trois enfants.
Cette fois encore, elle avait choisi la Nouvelle République.
Du bout de ses doigts palmés, l’amiral Ackbar manipulait les contrôles du vaisseau.
— Nous quittons l’hyperespace, annonça-t-il de sa voix rauque.
L’extraterrestre semblait parfaitement à l’aise dans son uniforme blanc, qui jurait pourtant avec son teint saumon. Il fit glisser ses yeux globuleux d’un causé à l’autre comme s’il avait voulu mémoriser le moindre détail du vaisseau.
Ackbar et les habitants du monde aquatique de Calamari avaient souffert entre les griffes de l’Empire. De cette triste expérience, ils avaient appris à rester calmes, à écouter, à prendre leurs propres décisions. Ackbar avait, entre autres, joué un rôle essentiel dans la conception de l’aile B qui avait causé tant de pertes aux chasseurs impériaux Tie.
Leia le regarda piloter. Il paraissait faire partie intégrante du vaisseau – qui n’était, après tout, que des ailes et des turbo-lasers montés autour d’un poste de pilotage. Les équipes de Calamariens d’Ackbar, avec à leur tête le chef mécanicien Terpfen, avaient rajouté une place de passager sur le chasseur pour le recycler en navette personnelle.
L’hyperespace disparut pour laisser place à un panorama stellaire. Les moteurs subluminiques entrèrent en action et le chasseur entama son approche de la planète Vortex.
Leia rectifia les plis de sa robe tandis qu’Ackbar se concentrait.
— Superbe ! dit-elle en se penchant sur la verrière du poste de pilotage.
La planète était suspendue dans l’espace, sphère métallique aux reflets bleus. Son atmosphère révélait de complexes tourbillons de nuages et de systèmes orageux ainsi que des spirales nuageuses qui donnaient naissance à de monstrueux cyclones.
Leia se souvint de ce qu’elle avait lu sur Vortex. La forte inclinaison de l’axe de la planète créait des changements de saisons brutaux. Au début de l’hiver, une vaste calotte polaire se développait, due à la congélation des gaz atmosphériques. La chute de pression générait des vents, violents qui venaient du sud pour envahir la zone où l’atmosphère s’était solidifiée.
Les Vors, des humanoïdes aux os creux et aux ailes de dentelle, restaient au sol durant la saison des tempêtes, protégés dans des abris souterrains. Mais pour célébrer les vents, ils avaient fondé un festival renommé dans toute la galaxie…
Leia toucha une icône de son portable. Le ministre d’Etat de la Nouvelle République ne devait faire aucun faux pas. Il lui fallait de nouveau réviser ses fiches…
Une image translucide apparut sur l’écran argenté – une projection de la Cathédrale des Vents. Les Vors avaient édifié une structure qui résistait depuis des siècles aux pires tempêtes.
Construction complexe, d’une délicatesse rare pour sa taille, la Cathédrale des Vents ressemblait à un château façonné dans un cristal d’une finesse extrême. Des milliers de passages s’entrecroisaient, menant à des salles vides, à des tourelles, à des spires. Le soleil se reflétait sur sa surface, renvoyant à l’infini les reflets des plaines battues par les vents qui s’étendaient alentour.
Dès le début de la saison des tempêtes, des rafales s’engouffraient dans les ouvertures, résonnant dans l’orgue gigantesque.
La musique n’était jamais deux fois la même et les Vors autorisaient leur cathédrale à jouer une fois l’an. Durant le concert, des milliers d’extraterrestres volaient le long des spires pour ouvrir et fermer les passages, sculptant la musique comme une œuvre d’art.
Leia passa au fichier suivant. La musique des vents n’avait pas été entendue depuis des dizaines d’années, depuis que le sénateur Palpatine avait annoncé l’Ordre Nouveau et s’était déclaré Empereur. Les Vors avaient alors scellé les entrées de la Cathédrale et refusé que la musique retentisse pour quiconque.
Cette année ils avaient invité des diplomates de la Nouvelle République à assister à la représentation.
Ackbar ouvrit un canal de communication et se pencha vers le micro.
— Piste d’atterrissage de la Cathédrale de Vortex, ici l’amiral Ackbar. Nous sommes en orbite ; nous approchons de votre position.
— Navette de la Nouvelle République, nous vous transmettons les coordonnées d’atterrissage. Celles-ci prennent en compte les systèmes orageux et les cyclones… nos perturbations atmosphériques sont dangereuses. Suivez les instructions avec précision.
— Compris, dit l’amiral en se redressant. Vous devriez vous attacher, Leia. La descente risque de secouer.
La jeune femme éteignit le portable et le glissa derrière son siège. Attachant sa ceinture de sécurité, elle prit une longue inspiration – le Calamarien n’était pas à son aise, elle le sentait.
Ackbar fit plonger le chasseur dans la zone orageuse.
Les humains ne pouvaient pas lire les expressions des Calamariens et Ackbar s’en réjouissait. Ainsi, Leia ne mesurerait pas son inquiétude.
S’il s’était porté volontaire pour cette mission, c’est parce qu’il ne faisait confiance à personne d’autre pour conduire le ministre d’Etat – et à aucun autre vaisseau qu’à son chasseur.
Il observa les nuages qui approchaient à grande vitesse. Le vaisseau transperça les hautes couches de l’atmosphère, ses ailes virant au rouge vif en raison du frottement.
Il agrippa les commandes, se concentrant sur les voyants. La manœuvre ne laissait aucune place à l’erreur. Il jeta un regard rapide sur les coordonnées que lui avaient transmises le technicien vor…
Le vaisseau commença à trembler. L’estomac de l’extraterrestre se souleva quand une rafale les fit remonter de plusieurs centaines de mètres puis les laissa retomber en chute libre avant qu’il ne puisse reprendre le contrôle de l’appareil. Les vents s’écrasaient sur la verrière de plastacier transparent, laissant des traces de condensation qui s’évaporaient en quelques instants.
Il garda l’œil gauche sur les voyants… Pas de rouge. Son œil droit pivota pour regarder Leia, droite et silencieuse, maintenue en position par le filet de sécurité.
Les yeux sombres de la jeune femme étaient écarquillés ; ses lèvres serrées l’une contre l’autre ne formaient plus qu’une fine ligne blanche. Elle avait peur – mais aucune envie de le montrer. Et elle ne dirait rien qui puisse distraire le pilote.
Le chasseur B tombait en spirale vers une gigantesque formation cyclonique. Le vent s’accrochait aux ailes de l’appareil ; Ackbar déploya le deuxième aileron pour regagner de la stabilité. Il rétracta les canons-lasers, minimisant la résistance de l’air.
— Navette de la Nouvelle République, votre trajectoire a dévié. A vous.
Ackbar tourna son œil gauche pour le vérifier sur ses indicateurs. Le coordinateur avait raison ; le vaisseau avait dérivé. Bizarre… Il avait vraiment très mal piloté – à moins qu’il n’ait pas bien lu les coordonnées…
Il fit tourner le chasseur vers la muraille en mouvement d’un cyclone, mais une rafale frappa le vaisseau, renvoyant le pilote contre son siège. Le chasseur se retourna et tomba, semblable à une feuille morte dans un tourbillon.
Leia poussa un petit cri avant de serrer les dents. Ackbar s’accrocha aux commandes aussi fort qu’il le pouvait, enclenchant les stabilisateurs pour essayer de ralentir la chute.
Le chasseur répondit enfin, ralentissant sa folle rotation. Ackbar leva les yeux pour se voir enveloppé par un manteau de nuages. Il n’avait aucune notion du haut ou du bas… Il sortit les ailes perpendiculaires du vaisseau et les bloqua dans une position stable. L’appareil répondit en vibrant plus brutalement encore, mais les voyants indiquaient que les ailes étaient bien en position.
— Navette de la Nouvelle République, répondez s’il vous plaît, dit la voix sans émotion du Vor.
Ackbar se retourna vers Leia. C’était une femme d’action qui ferait tout ce qu’elle pourrait pour l’aider – mais il n’y avait rien à faire. S’éjecter restait possible, mais il répugnait à abandonner son chasseur.
Le manteau de nuages se déchira. Les plaines balayées par la tempêtes s’étendaient sous leurs yeux, peignées par le vent comme par de gigantesques doigts. Des cercles concentriques d’abris entouraient le centre de la civilisation vor.
Malgré la peur qui l’étreignait, Leia poussa un cri d’admiration. La colossale Cathédrale des Vents étincelait de mille feux sous les nuages. Sa structure semblait trop délicate pour résister aux tempêtes… et pourtant des créatures ailées se massaient le long des chambres de résonance, ouvrant des passages pour que le vent crée la légendaiie musique.
— Navette de la Nouvelle République, vous êtes sur la mauvaise trajectoire. Vous devez annuler votre atterrissage. Je répète : annulez votre atterrissage.
Les coordonnées avaient encore changé. Le chasseur B ne répondait pas et la Cathédrale des Vents grossissait de seconde en seconde derrière la verrière. Ackbar jeta un coup d’œil aux ailes… L’une était tordue selon un angle bizarre.
Les voyants avait beau indiquer que les deux étaient déployées correctement, ses yeux lui disaient le contraire.
— Quelque chose ne va pas, dit-il d’un ton glacial.
— Nous nous dirigeons sur la Cathédrale ! hurla Leia.
Un des ailerons céda avec un craquement sec. Des étincelles volèrent et des plaques de blindage de la coque se déchirèrent.
— Je ne comprends pas, dit Ackbar. Ce vaisseau vient d’être entièrement révisé. Mes mécaniciens sont les seuls à l’avoir touché !
— Navette de la Nouvelle République… insistait la voix du coordinateur.
Les Vors qui rampaient sur les flancs de la Cathédrale se tournèrent vers le vaisseau qui fonçait sur eux dans un concert de rétrofusées inefficaces. Ackbar actionnait les commandes comme un fou mais rien ne répondait. Il n’avait plus de puissance ; un à un les voyants s’éteignaient.
Le chasseur n’était plus qu’un poids mort lancé à grande vitesse vers le joyau architectural. Ecrasant le bouton des réserves énergétiques, Ackbar serra les lèvres. S’il ne pouvait plus contrôler la chute, il pourrait toujours lever un champ de force pour sauver le vaisseau à l’atterrissage.
Et avant cela, il éjecterait Leia.
— Je suis navré, Leia, dit Ackbar. Dites-leur que je suis navré.
Il baissa un levier – la partie droite du cockpit se déchira, arrachant le siège éjectable à la structure du vaisseau.
Ackbar sentit le vent le gifler. Le champ de force vibra autour de lui. Il ne cligna pas des yeux.
Leia se retrouva dans un fauteuil, en plein ciel, le souffle coupé.
Les répulseurs se déclenchèrent et elle se sentit soulevée par une main de géant. Sous ses yeux, le vaisseau d’Ackbar plongeait sur la Cathédrale comme un cerf-volant désarticulé.
Pendant quelques secondes qui lui semblèrent une éternité, la jeune femme entendit la sourde mélodie des rafales de vent. Les Vors s’éparpillaient – ils n’auraient pas le temps de s’enfuir…
L’aile B s’écrasa comme un météore sur les niveaux supérieurs de la Cathédrale. L’impact pulvérisa les tours de cristal, propulsant des milliers de fragments dans l’atmosphère, comme autant de lames de rasoirs. Le tintement du cristal brisé et le sifflement des éclats se mêlaient au hurlement des vents et aux cris des Vors déchiquetés.
Jamais la princesse Leia n’avait entendu un tel son.
La Cathédrale prit une éternité pour s’effondrer.
Puis les tours s’écroulèrent dans un fracas d’apocalypse.
Les vents continuaient de souffler, ajoutant des fausses notes grinçantes au chaos ambiant – jusqu’à ce que demeurent quelques tours, debout par miracle.
Le siège de secours déposa Leia sur l’herbe en douceur.